Joël Philipps… apprendre à croire en sa bonne étoile
Même pas la trentaine, et déjà catapulté dans la cour des plus grands avec l’obtention d’une étoile au Michelin en 2015, le chef Joël Philipps, qui régale les fins gourmets dans son restaurant Esprit Terroir à Strasbourg est assurément promis à un avenir gastronomique radieux. Mais, la voie de l’excellence est loin d’être un long fleuve tranquille et ne s’emprunte pas sans labeur, ni embûches, ni renoncements.
Non, Joël Philipps n’est pas né avec une cuillère en or dans la bouche. Et l’étoile décrochée seulement 8 mois après l’ouverture de son restaurant ne lui est pas tombée du ciel ! Bête de concours et travailleur acharné, le jeune talent à la bonhommie joviale, a semble-t-il, plusieurs vies derrière lui et la sérénité d’une âme aguerrie aux aléas et vicissitudes de l’existence. On pourrait le croire inébranlable et pourtant, sa carrure de grand gaillard bon vivant masque une grande sensibilité. A l’entendre dérouler son parcours, cet enfant élevé au bon grain de la ferme familiale (du côté de ses grands parents allemands), qui n’avait jamais fréquenté un « gastro » avant de se lancer dans le métier, a non seulement développé un talent d’artiste mais aussi le tempérament qui va de paire. On perçoit chez lui une grande ouverture d’esprit, une créativité débordante mais aussi la fragilité de quelqu’un en proie au doute, pour qui le repos n’existe pas et la remise en question n’a de cesse. Cette soif inextinguible d’excellence est sans doute celle qui a forgé le caractère culinaire du jeune chef aujourd’hui récompensé par le fameux guide rouge.
Un parcours riche et formateur
Malgré son jeune âge, le chef a une expérience d’autant plus solide derrière lui qu’il n’a jamais choisi la voie de la facilité. Après un apprentissage dans un restaurant traditionnel à Rhinau, le cuisinier espère obtenir une place au Cerf à Marlenheim pour y passer son BP cuisine. Il rencontre Michel Husser qui veut bien l’envisager mais à condition qu’il passe au préalable par un CAP salle. Là où beaucoup auraient rebroussé chemin, Joël accepte le deal et n’y va pas à reculons. Il finit 2ème meilleur apprenti en salle de sa promo. Une expérience dont il se félicite aujourd’hui : « Ce CAP Salle m’a permis de me familiariser avec l’univers du gastro. Il a été mon sésame pour entrer dans la cuisine du Cerf et y faire mes preuves. Et puis, c’est là que j’ai rencontré mon épouse Sarah. » En 2007, après 5 années de bons et loyaux services, Joël Philipps décide de quitter l’établissement pour vivre l’expérience d’un 3 étoiles aux côtés de Marc Haeberlin à l’Auberge de l’Ill. Six mois plus tard, il ressent pourtant le besoin impérieux de retourner auprès de celui qu’il considère comme un père en cuisine et réintègre la cuisine du Cerf en qualité de chef de partie aux poissons. Michel Husser, qui le voit bouillonner d’énergie, d’idées et de créativité ne tardera pas à lui proposer le poste de second.
Le goût du dépassement de soi et des concours
Mais il faut croire que ce nouveau challenge n’est pas encore de taille à combler la faim qui le tenaille de se surpasser. Bénéficiant du soutien et des encouragements de son chef, le jeune second trouve alors dans les concours un moyen d’assouvir son besoin d’aller toujours plus loin. En mars 2010, en participant au concours la Percée du vin jaune dans le Jura, il fait une rencontre déterminante parmi le jury, celle du MOF Romuald Fassenet. Ce dernier voit en Joël un tel potentiel, qu’il le prend sous son aile, suivant de près son parcours et son évolution culinaire. En 2012, alors que Romual Fassenet cherche un second en cuisine et à pourvoir un poste en salle, il pense tout naturellement au couple Philipps. C’est ainsi que Joël se retrouve au Château du Mont Joly à Dôle, assumant le rôle de bras droit du Chef dans une cuisine ouverte qui requiert une discipline d’entretien drastique. Pendant 2 ans, Joël, encouragé par son mentor, poursuit l’aventure des concours et se distingue notamment en 2012 au concours Henri Huck où il obtient la deuxième place du podium et en 2013 au trophée masse où il finit premier de la région grand-Est et second en finale à seulement un point du vainqueur.
A peine 28 ans et à la tête de son propre restaurant
Après la naissance de leur fille Nelya le 27 septembre 2013, Joël et Sarah décident qu’il est temps de rentrer au bercail pour se rapprocher de la famille, notamment. Le 13 mai 2014, le couple de retour en Alsace depuis décembre ouvre ainsi son restaurant baptisé Esprit Terroir, quai Finkwiller à Strasbourg. Joël a 28 ans, Sarah en a 25. Difficile à cet âge et malgré leur parcours hors norme d’asseoir leur crédibilité ! Le cadre modeste du restaurant et sa configuration atypique freinent-ils l’intérêt des gastronomes pour la cuisine de haute volée proposée par Joël ? Quoiqu’il en soit 6 mois après l’ouverture, le succès est loin d’être au rendez-vous. Au cours du mois de janvier, Joël commence même à imaginer laisser tomber la cuisine gastronomique pour se lancer dans un concept de restauration plus rentable. Heureusement, le 31 janvier 2015 à 23h30, un simple coup de fil va changer définitivement la donne. La directrice du Michelin annonce à Joël l’obtention de sa première étoile. D’abord incrédule, puis heureux, le chef passe par toutes les émotions, y compris celles du lendemain, quand il réalise que cette étoile pourrait bien s’avérer un cadeau empoisonné ! Quoiqu’il en soit, la sortie officielle du guide rouge lui permet de remplir son carnet de réservation pour les 3 prochains mois.
L’étoile : paradis ou enfer ?
Avec le recul, Joël Philipps se dit que sa femme et lui n’étaient pas prêts pour répondre aux attentes générées par cette distinction aussi soudaine qu’inattendue. Ils ont dû, en un laps de temps très court, revoir toute leur organisation, embaucher du personnel, changer la vaisselle et nombre de détails qu’ils n’avaient pas pu anticiper. Une pression énorme à laquelle se sont ajoutées les critiques désobligeantes de certains clients plus attachés à la forme qu’au contenu des assiettes et les dénigrements de quelques confrères qui n’ont pas pardonné à Joël de briller malgré son si jeune âge. L’année 2015 aura été particulièrement riche, tant en bonheurs qu’en déconvenues et le moral du jeune chef mis à rude épreuve. Heureusement, Joël Philipps peut compter sur le soutien inconditionnel de son épouse. Et faisant fi des médisances, le jeune couple redouble d’efforts pour opposer le meilleur des démentis aux mauvaises langues : l’étoile Michelin de Joël Philipps, confirmée par l’édition 2016 du Michelin, brille encore et toujours au firmament de la gastronomie française ! Et cette étoile que le chef n’attendait pas et qui ne lui aura pas laissé d’autre choix que celui de grandir sous les feux de la rampe, lui aura finalement fait le cadeau d’un gain de maturité inestimable.
Plus que jamais heureux en cuisine
Aujourd’hui, le jeune chef a gagné en assurance et en confiance et a appris à canaliser sa sensibilité pour la mettre au seul service de son art. Il est plus que jamais motivé, heureux et fier de faire parler son savoir-faire et sa créativité culinaires. Son credo ? « Sublimer des produits de grande qualité, répond-il. Je suis hyper exigeant quant à la sélection de mes marchandises. Si j’étais un peu plus foufou auparavant, je construis aujourd’hui des assiettes de plus en plus épurées : je m’appuie sur un produit phare, et pour le reste, je mise sur le fait de ne pas réunir plus de trois saveurs dans l’assiette, les contrastes de textures, une touche de technique et une touche d’originalité. Je suis très inspiré par la gastronomie japonaise dont je suis totalement fanatique et qui prône justement cette épure.» Avec une carte relativement courte renouvelée chaque mois pour être au plus proche des étals du marché et des saisons, le chef aime penser chacun de ses plats dans les moindres détails : les visuels sont soignés, les cuissons millimétrées, les assaisonnements maîtrisés. On y retrouve forcément son plat signature, le carpaccio de langoustines, qui reflète à merveille son talent pour composer des visuels de toute beauté et créer des saveurs équilibrées et explosives en bouche. Au déjeuner, avec son menu retour du marché hebdomadaire dont le tarif défie toute concurrence (25 € pour 2 plats et 29€ pour 3 plats), il s’autorise un peu plus de spontanéité et de fougue. Un exercice assez proche de la créativité requise dans les concours qu’il affectionne tout particulièrement !
Et son avenir, comment le voit-il ? « Obtenir le titre de Meilleur Ouvrier de France est un de mes plus grands rêves, confie-t-il. Je pense le tenter l’année prochaine. » C’est évidemment tout ce qu’on souhaite à Joël Philipps, de rêver encore et toujours. Et de croire en sa bonne étoile, celle qui donne des ailes et rend capable de décrocher la lune ! Car, ceux qui ont aimé sa cuisine, n’ont qu’une seule envie, y retourner et être à nouveau éblouis par les émotions que suscitent ses plats !
******
Depuis cette interview, le chef Joël Philipps exprime toute l’étendue de son talent au restaurant Le Cerf à Marlenheim (1 * Michelin) dont il a repris les rennes avec la complicité de Clara et Mélina Husser.
Restaurant le Cef à Marlenheim
30 Rue du Général de Gaulle, 67520 Marlenheim
Menu: lecerf.com
Réservations: lecerf.com, thefork.fr
Tél : 03 88 87 73 73
La recette de Joël Philipps
Pour 4 personnes
Ingrédients :
- 20 Asperges blanches d’Alsace
- 4 pavés de Bar de 130 gr environ
Pour la vierge :
- 80 gr de Rhubarbe
- 40 gr d’olive noire
- 30 gr d’oignon nouveau
- 15 gr de ciboulette
- 1 jus de citron
- 4 cuillères à soupe d’huile d’olive fruitée
- 1 cuillère a soupe de Maggi
- Sel et Piment d’Espelette
Finitions :
- Herbes et fleurs du jardin
- Radis
- Croûtons de pain de mie
- Cébette verte
Cuire les asperges blanches à l’eau salée, avec une légère pointe de sucre et du beurre.
Tailler la rhubarbe, l’olive noire en fine brunoise. Saler et ajouter le jus de citron, l’huile d’olive et le Maggi. Ciseler finement la ciboulette et l’oignon nouveau et ajouter au dernier moment.
Cuire le pavé de Bar coté peau dans une poêle très lentement afin d’obtenir une peau bien croustillante.
Dresser harmonieusement chaque élément.
5 questions pour cuisiner… le Chef Joël Philipps
Vous n’êtes pas encore rassasié(e) et brûlez d’envie d’en savoir encore un peu plus sur Joël Philipps ?
Je lui ai posé quelques questions pour tenter de percer à jour son identité gourmande.
J’ai envie de me dire que j’ai encore à le vivre…Chaque instant passé avec un grand chef ou un producteur est un moment rare et unique. J’ai pour projet d’aller voir mes « idoles » dans les prochaines années donc je sais que je vais encore vivre des moments extraordinaires. Si je devais en citer un, je citerais un diner a l’Arnsbourg il y a quelques années, ce fut un souvenir incroyable et je me souviens encore de chaque plat que Jean Georges Klein m’avait servi ce soir là.
Je m’y suis essayé plusieurs fois, mais le boudin noir reste pour moi impossible. C’est donc aussi un aliment que je ne cuisine pas.
3. Tu as 15 minutes devant toi pour faire une recette. Quel plat prépares-tu ?
Un poisson en sashimis, citron, sauce soja, gingembre confit et wasabi accompagné d’un riz japonais cuit au ricecooker.
4. Quel est ton restaurant alsacien préféré ?
Cela dépend de l’occasion et du moment. C’est difficile de choisir car chaque restaurant a une âme. Mais La cour de Lise à Willgotheim est un endroit ou l’on mange très bien. On y est parfaitement accueilli et le lieu est féérique.
Une pièce de boeuf avec une maturation un peu poussée.